
Pour se transformer, les organisations ont besoin de personnalités capables d’anticiper, d’imaginer et de porter la transformation. Des catalyseurs du changement qui n’auront pas peur de désobéir tout en possédant de solides savoir-faire métier, une approche innovante et une grande force, qu’ils tirent de leur résilience innée. Ces profils, sont désormais nommés les corporate hackers.
Qu’apporte réellement le corporate hacking ? Pour comprendre ce mode de pensée, capable de transformer l’entreprise, je vous propose de repartir aux origines du hacking.
Qu’est-ce que la culture hacker ? Comment s’est-elle peu à peu infusée dans la culture populaire et surtout, qu’a-t-elle laissé comme empreinte ? Le hacking peut-il être bienveillant ? Et enfin, est-il transposable au monde de l’entreprise ?
Il me semble que cette culture geek peut effectivement être une source d’inspiration et transposée à l’entreprise, apporter un rapport nouveau à l’organisation, à la fois rebelle et constructif, qui la conduira à se transformer de l’intérieur.
Le corporate hacker en quête d’excellence
Il ne faut pas se fier à l’attitude parfois irrévérencieuse du corporate hacker. Si l’habit ne fait pas le moine, le hoodie* ne fait pas le hacker. Tout comme les hackers tirent une grande fierté de leur savoir-faire technique, les corporate hackers possèdent des compétences métier de haut niveau.
Etonnement, ils sont même souvent attachés à une forme de tradition dans la maîtrise technique de leur métier.
En anglais, « to hack » signifie « découper en tranche ». C’est le principe du hacker : comprendre parfaitement un système, déverrouiller ce qui est fermé, décomposer les strates ou les étapes, modéliser les compétences, pour imaginer une nouvelle manière de réassembler tout cela.
En mieux.
Cette étape de décomposition et d’analyse nécessite avant tout une grande maîtrise du métier. Et cette envie de réinventer le système transpire, elle, une quête d’excellence qui définit parfaitement le hacker.
Ainsi les corporate rebels, comme les hackers nagent-ils en plein paradoxe : fasciné par la tradition que représente le savoir-faire et exaltés par le défis à la tradition (et même, la provocation !) que représente chaque système fermé.
* hoodie : sweat à capuche souvent utilisé pour représenter les hackers
« Pour un hacker, tout système fermé est un problème »
Amaëlle Guitton – Hackers au cœur de la résistance numérique**
L’ingéniosité du corporate hacker
Une fois le « système » compris, le hacker va chercher à le détourner de sa fonction ou but initial. Nous parlons ici des white-hats, c’est-à-dire des hackers bienveillants qui cherchent à améliorer l’existant.
La culture hacker est très attachée à l’astuce, à la « bidouille ». Les hackers procèdent par tâtonnement, par essai, par erreur et trouvent les réponses à leurs questionnements grâce à leur savoir-faire, certes, mais aussi à une bonne dose de sérendipité.
Ainsi inspirés par cette culture, les corporate hackers se sont appropriés cet art du détournement et la malice nécessaire pour jouer avec les limites, trouver des liens a priori pas évidents.
Puis, très influencés par la culture des makers, les corporate hackers fonctionnent par cycles itératifs. D’abord ils agissent avant de peaufiner leurs questionnements théoriques, comme le font les hackers. Ils s’inspirent des cultures d’organisations comme les Anonymous, fondées sur le principe de l’action directe. Le corporate hacker est un électron libre pour qui seul compte le résultat.
« Apprendre l’attaque pour mieux se défendre »
Sécurité informatique Ethical Hacking, ouvrage collectif
Hacker résilient
Autre caractéristique du hacker : il cherche à comprendre une attaque pour s’en protéger. Bien comprendre une crise, avoir analysé ses causes et ses conséquences est pour lui la meilleure manière d’en éviter une prochaine.
Le hacker tire ainsi de son fonctionnement une capacité de résilience qui lui permet de sortir grandi, y compris des plus grandes attaques (il est même parfois fasciné par l’ingéniosité des attaques de ses ‘concurrents’).
Cette résilience permet, de la même manière, au corporate hacker de percevoir les crises et mutations à venir et d’anticiper les changements nécessaires. C’est pour cela qu’il n’hésitera pas à remettre en cause les modes de pensées et fonctionnements dominants, à remettre en question les pratiques et process et à impulser un renouvellement de la politique d’innovation…alors un conseil, écoutez-le !
« Les hackers créent les cultures de la désobéissance dont nous avons besoin »
Gabriella Coleman anthropologue spécialiste de la culture hacker dans rue89***
La désobéissance comme levier de transformation
Conscient des transformations à apporter, le corporate hacker ne se contente pas d’attendre que le mouvement vienne « d’en haut ». S’il voit que rien ne bouge, il va l’impulser. Dans les organisations les plus traditionnelles, c’est le seul mode opératoire pour qu’une mutation se réalise.
Maîtrisant à merveille la hiérarchie officielle et officieuse, il sait parfaitement à qui parler ou ne pas parler de son projet. Il n’hésite pas à changer sa manière de travailler, à se jouer des règles établies. Toujours sur le fil, il le fait sans se mettre en faute, par pur esprit d’initiative.
Inspiré par la mentalité anti-autoritaire et allergique aux organisations pyramidales, il n’hésite pas à utiliser les moyens de l’entreprise pour résoudre ce qui est, selon lui, un problème. Son besoin d’autonomie est gigantesque et sa motivation lui permet de déplacer des montagnes. Pourquoi ? Parce qu’il est convaincu de travailler pour le bien de l’organisation. Oui, car le corporate hacker est un salarié qui agit en dehors du système en place car il le juge mauvais, mais il n’est pas anti-système.
«Je voulais sauver le monde…»
Elliot Alderson dans la série Mr. Robot
L’idéal du corporate hacker
D’ailleurs ce qui motive le corporate hacker n’est pas son confort individuel mais le bien commun. De fait, malgré un discours parfois individualiste – très axé sur les libertés individuelles – le hacker est convaincu et porté par un idéal.
Ce profil est ainsi capable de faire bouger les lignes par sa quête de sens.
Pour y parvenir, il s’inspire de la dimension communautaire très prégnante chez les hackers avec des pratiques collaboratives comme l’open source ou les documents partagés.
Par leur vision, ils transforment les organisations pour les rendre plus efficaces, plus créatives mais aussi, et surtout, plus utiles. Le mouvement des 100 Barbares a ainsi résumé cette approche dans un manifeste :
« Nous sommes dans une phase de rupture au cours de laquelle les seuls gagnants aujourd’hui sont ceux qui anticipent le monde d’après, et qui se servent de cette clairvoyance pour imposer leurs règles, et privatiser l’humanité à leur profit exclusif. Ce n’est pas le monde que nous voulons ».
Les corporate hackers sont une formidable réserve d’énergie basée sur l’insatisfaction ou la frustration. Ces profils sont incapables de ne pas réagir ! Ainsi, ils mobilisent cette énergie négative et la transforment en idées et en actions.
Evidemment, ils peuvent être parfois agaçants – voire difficilement gérables – pour des managers mais ils sont, selon moi, une des clés de la transformation digitale d’une organisation.
Tout l’enjeu consistera à les aider à donner une dimension collective à leur fonctionnement. En effet, un des travers des corporate hackers est de mettre en place des dispositifs internes manquant de pérennité. Ils peuvent avoir une tendance à agir seul et à épuiser cette belle énergie. Il est donc indispensable de réussir à les détecter (par exemple via des logiques de cooptation ou en attirant leur attention par des projets bien ciblés) et de les fédérer au sein d’un écosystème transversal qui va porter la transformation.
** Sur la culture hacker : Anonymous. Hacker, activiste, faussaire, mouchard, lanceur d’alerte (2014) de Gabriella Coleman
*** http://rue89.nouvelobs.com/2016/04/30/les-hackers-creent-les-cultures-desobeissance-dont-avons-besoin-263878