
Entreprise libérée ; le terme est à la mode et le concept fait rêver les salariés – pour qui entreprise libérée rime avec autonomie, créativité et responsabilité – tout autant que dirigeants – pour qui entreprise libérée rime avec économies structurelles, performance et scalabilité.
Popularisé par Isaac Getz*, l’approche est mise sur le devant de la scène car elle s’inscrit dans les nouvelles attentes et modes de pensée des générations X et Y, et est facilitée par la maturité des outils digitaux.
Pour autant, s’agit-il d’un modèle à copier-coller sur tout type d’organisation ? Peut-on libérer une entreprise de 100 000 personnes ? Doit-on transformer toutes les structures en entreprise libérée ?
Boris Sirbey, fondateur historique de la plateforme de recrutement participatif MyJob.Company et membre du comité stratégique fait le point pour nous.
* Isaac Getz est professeur à l’ESCP Europe. Il a conduit et publié de nombreux travaux et ouvrages sur les thématiques de la transformation organisationnelle, du leadership libérateur et de l’innovation.
L’entreprise libérée est un des possibles
Marjolaine Gaudard : Pensez-vous qu’il soit souhaitable de libérer toutes les entreprises ?
Boris Sirbey « Le principe de l’entreprise libérée est intéressant car il donne un exemple de nouveau mode organisationnel. Cela nous dit que ‘c’est possible’. Qu’il est possible d’avoir des organisations sans manager. Ce qui va loin par rapport aux modèles que nous connaissons !
Pour autant, l’entreprise libérée a aussi ses limites. Par exemple, il n’y a pas d’entreprise libérée de 100 000 personnes. Je connais un cas exceptionnel d’une entreprise de textile en Inde qui compte 40 000 personnes.
En France, les structures les plus importantes tournent autour de quelques centaines de personnes comme pour Chronoflex, Favi ou encore Poult.
Pour autant, libérer l’entreprise n’est pas un but en soit. Pour certaines entreprises, il n’est peut être pas bon d’aller jusque là.
On peut très bien aussi passer à des modes de management agiles. Transformer les managers en coachs, qui ne vont pas stresser les gens inutilement et plutôt faire du management de proximité. Le manager-coach va alors écouter, faire monter en potentiel et en compétences les collaborateurs.
La transformation des organisations peut aussi passer par cela. Donc c’est un choix et l’entreprise libérée n’est pas nécessairement bonne pour toutes les organisations. »
La transformation, diététique des organisations
MG : Quelle est votre approche de la transformation des organisations ?
B.S : « Finalement, je conçois la transformation des entreprises comme la nutrition : il faut éviter de tomber dans la caricature ou dans des modes de pensée polarisés.
Il y a des gens qui se nourrissent mal : ça leur donne des boutons, ça réduit leur espérance de vie, ça leur prend beaucoup d’énergie à digérer pour des choses toxiques pour eux.
Ce n’est pas une raison pour devenir respirationniste et se nourrir de lumière et d’air. La transformation peut passer par une meilleure diététique. La personne peut envisager différentes approches comme devenir végétarien, végétalien ou simplement en faisant plus de sport. Elle choisira celle qui lui conviendra le mieux.
Chaque individu est différent tout comme chaque organisation. Je ne crois pas à l’idée de plaquer des modèles.
Dans certaines organisations, il existe un pouvoir central mais qui est bienveillant et extrêmement diffus. Et ce n’est pas nécessairement mal en soi. »
Respecter la nature profonde des organisations
MG : Comment adaptez-vous le principe de l’entreprise libérée aux spécificités de chaque organisation ?
B.S : « Dans mes missions, j’essaie d’être très attentif à la nature profonde des organisations et à aller chercher le papillon dans la chrysalide. Qu’est ce que le papillon de chaque organisation ?
On va demander aux collaborateurs vers où ils se voient évoluer. Certains vont peut être dire « ça ne me dit rien d’aller dans ces machins d’entreprise libérée, en revanche, ça me parle d’avoir plus de liberté sur la gestion de mon temps de travail ».
Il existe également des cas où chaque service souhaite aller à des niveaux différents : un service va fonctionner en entreprise libérée, des DSI voudront tester des approches expérimentales un peu dingues…
Il est possible de respecter tout à la fois la culture globale de l’organisation tout en respectant la diversité des cultures locales de chaque service. Et de laisser chacun aller à son rythme. C’est beau, d’ailleurs, cette idée de richesse et de diversité dans l’organisation, vous ne trouvez pas ?
Je l’envisage personnellement comme un jardin avec des massifs différents mais au final, il en émerge une atmosphère, un univers avec son style et son identité.
Dans le même esprit, j’ai noté que l’histoire de l’entreprise compte beaucoup. Très souvent, les gens qui ont impulsé l’entreprise laissent des marques. C’est comme un parfum. Quand tu as des grands humanistes qui fondent une entreprise ça reste dans l’air. »